Et si les choses étaient plus compliquées que cela ? Si on allait au-delà des apparences ? J’ai même envie de poser cette question volontairement provocatrice : « Et si ce jeune homme n’était pas un névrosé psychopathe, ni un penseur extrémiste, mais un être ordinaire tout comme vous ou moi, avec ses fêlures et complexes ? » Car oui, si l’on se plonge plus en détails dans sa vie, sa personnalité ; je suis persuadé que nombre d’entre vous seraient frappés de se reconnaître par tel ou tel trait de caractère de ce jeune homme atteint d’une très grande timidité. Oublions un instant que c’est un psychopathe et essayons de comprendre les véritables raisons qui l’ont amené jusque-là. Analyse donc sur le cas de Maxime Brunerie sous l’angle de l’interactionologie sociale.
Pour présenter le personnage, je vais reprendre volontairement une suite d’extraits d’un article publié par le journal Libération, daté du 7 décembre 2004, et qui était consacré à Maxime Brunerie :
A 25 ans, Maxime Brunerie, un garçon timide et falot qui a erré dans les mouvements d’extrême droite pour trouver des copains, a décidé d’en finir et de devenir immortel : « Je savais que ma vie était ratée. Avant de partir, il fallait faire quelque chose d’inoubliable, un geste historique et choquant », a-t-il expliqué hier d’un ton monocorde à la cour d’assises de Paris qui le juge pour tentative d’assassinat sur le président de la République, Jacques Chirac, le 14 Juillet 2002. Maxime Brunerie a rêvé son nom post mortem dans les livres d’histoire. Mais le « régicide » a échoué, et le suicide aussi. Il se retrouve seul, comme d’habitude, mais dans le box des accusés.
Souffre-douleur. Front bas, lunettes, polo gris, look propret et passe-partout, sans tatouage ni crâne rasé, ce fils aîné d’une informaticienne BCBG et d’un technicien dans l’aéronautique ne s’étend guère sur son enfance : « J’en ai très peu de souvenirs. » Tout juste évoque-t-il une mère anxieuse et protectrice et un père plus distant : « Je n’ai jamais parlé avec mes parents. » Il habite chez eux à Courcouronnes, dans l’Essonne, redouble sa 4e, puis sa 3e : « Il n’y a que les cours d’histoire-géo qui m’intéressaient. » Il bifurque sur un BEP de gestion administrative pour devenir comptable. Il louche, « un cauchemar ». Souffre-douleur de ses camarades d’école, Maxime Brunerie en cherche ailleurs : « Depuis toujours, j’ai l’impression de ne pas être intéressant, j’ai un décalage par rapport aux autres qui arrivent à communiquer. J’ai toujours été à l’écart. » A 17 ans, des copains l’emmènent aux matchs de foot du Paris Saint-Germain, dans le « KOP » Boulogne bourré de hooligans : « J’ai tout de suite accroché à la mouvance qu’il y avait. »
En parallèle, Maxime Brunerie gravite dans le milieu du rock identitaire BBR (bleu, blanc, rock), s’engage comme trésorier dans l’association section « 3 B » (baise, bière, baston) sans toutefois s’adonner à ces trois activités, si ce n’est un peu de Kro. Il se consume d’amour en secret pour une belle militante néonazie : « Je n’ai jamais osé lui déclarer ma flamme. » Il est encore vierge, selon l’enquête de personnalité. Sur l’Internet, il se connecte sur tous les sites interdits, sulfureux et moralement condamnables. Il recherche ce frisson qu’il ne ressent pas sur les sites du PS ou du RPR, par goût de l’interdit et par aversion du conformisme. « Je cherchais des groupes, a-t-il dit hier, une sorte d’appartenance, de cohésion identitaire, mais je ne me suis jamais vraiment senti à l’aise, j’avais l’impression de ne pas être comme les autres. » Il se sent mieux au KOP Boulogne : « Comme il y a plus de monde, on formait un bloc, et tous mes problèmes étaient dilués dans la masse. »
Qu’est-ce qui est frappant à la lecture de ces extraits ? D’ores et déjà, en prenant connaissance de son portrait, on perçoit un profond mal-être qui est apparu très tôt dans la vie de ce jeune homme.
Mais ce mal-être, selon moi, ne se résume pas à : « Il est névrosé » ou « Il a eu des traumatismes graves dans son enfance ».
Il semble tellement plus facile d’étiqueter les gens de cette manière et de tout mettre sur le compte de névroses, de traumatismes. L’on se prive surtout de comprendre avec ce type de raccourcis de psychologie de comptoir, alors que la meilleure façon de prévenir contre ce genre de tragédie, c’est justement de chercher les explications adéquates et susceptibles d’éclairer les origines de son mal-être.
En réalité, Maxime Brunerie est atteint d’une timidité extrême dans ses relations sociales et amoureuses. Pour être plus précis, il y a chez lui une absence de compréhension des codes de communication sociale et amoureuse.
Christophe Bourseiller, journaliste et écrivain, qui a préfacé le livre biographique de Maxime Brunerie (Une Vie ordinaire, Editions Denoël, 2011) écrit d’ailleurs à propos du jeune homme : « Confusion d’un individu, qui ne sait comment vivre – il lui manque le fameux mode d’emploi des autres – et habille son mal être d’oripeaux néofascistes ».
Mon analyse du cas Maxime Brunerie
À travers son parcours, ses bifurcations, on peut déjà dresser ces constats récurrents :
SOCIALEMENT : Il rencontre énormément de difficulté pour se faire des amis, pour s’intégrer à la société, pour trouver une place parmi les autres. Il se sent en permanence exclus des autres malgré ses efforts.
SEXUELLEMENT : À 25 ans, il est toujours vierge. Il accumule les râteaux. Il ne comprend pas les raisons de ses échecs. Pourtant, il se sent respectueux et sincère avec les femmes. Et ça ne marche jamais…
La non-compréhension des codes sociaux/amoureux et la non-satisfaction de ses pulsions sociales/sexuelles créent chez lui une accumulation d’insatisfactions et de frustrations permanentes.
Ses pulsions sociales et sexuelles non satisfaites (deux besoins humains et biologiques indispensables à l’équilibre psychologique d’un individu) génèrent des émotions négatives : pensées obscures, haine, violence, aigreur, etc…
Sa réponse à ce mal-être, c’est la déviance : il fréquente des groupuscules d’extrême droite, participe à des mouvements skinhead et de hooligans, se connecte sur Internet sur tous les sites sulfureux et interdits, etc…
Se sentant exclu par la société, ayant le désir d’être inclus dans un groupe, il trouve une place dans ces groupuscules extrémistes où il est arrivé à développer des « connexions » avec les autres, comblant en partie ses frustrations.
Mais Maxime Brunerie est toujours vierge. Une déception amoureuse est la goutte qui fera déborder le vase, le poussant à vouloir en finir avec la vie et à commettre cet attentat.
Ainsi, je dirais que Maxime Brunerie était comme un « dyslexique » des relations sociales et amoureuses, il ne comprenait pas les codes et tout cela le frustrait énormément.
Un mode d’emploi de communication sociale ?
Le cas de Maxime Brunerie illustre bien mes réflexions sur la timidité sociale et la nécessité de développer « un mode d’emploi des autres » à l’usage des timides, un manuel d’interactionologie sociale, pour prévenir l’exclusion sociale.
Car l’on voit bien à travers son cas que la solitude et l’exclusion peuvent parfois mener à des situations tragiques, à des comportements agressifs envers ceux qui l’excluent. Plus récemment, la fusillade de Newton produite aux Etats-Unis a révélé le portrait du tueur, Adam Lanza, un jeune homme de 20 ans, comme un être timide et tourmenté, qui ne parlait pas beaucoup et qui avait de très grandes difficultés à interagir avec les autres. Les médias abordent souvent ces cas de personnalité sous l’angle d’individus atteints de troubles psychopathes et d’absence d’empathie. Je crois hélas que les explications sont beaucoup plus terre-à-terre que cela et leur cas sont loin d’être isolés.
Si Maxime Brunerie était un jeune homme sociable, connaissant instinctivement le mode d’emploi pour interagir avec les autres… probablement en ce jour du 14 juillet 2002, ne serait-il pas présent dans ce défilé sur les Champs-Elysées, souriant et détendu, accompagné de ses amis et de sa copine, pour demander plutôt un autographe au président ?
Hélas, les trois dernières lignes sont tellement vraies…
Mais est ce qu’avoir un mode d’emploi en main résoudrait vraiment le problème ?
Est ce que ce problème est vraiment résoluble ?
j’en viens à douter parfois
À mon avis, Maxime Brunerie cherchait simplement des copains, une petite amie, pour être heureux. Des choses finalement assez ordinaires.
Je ne pense pas qu’il était obsédé par l’idée de trouver « la femme idéale » ou « les bons amis qui le comprendraient », des désirs qui auraient pu entretenir de longues frustrations. Et là, le problème aurait été plus compliqué.
Un « mode d’emploi », c’est déjà avoir une boussole qui indique une direction.
Et certainement, s’il avait pris connaissance du livre de Benglia par exemple, il aurait pu comprendre les raisons de ses échecs amoureux et avoir enfin un sentiment de libre arbitre en comprenant les codes instinctifs qui lui échappaient, lui évitant ainsi ce sentiment profond de fatalité qui l’a amené à son acte…
Et c’est ce dernier point qui me paraît déjà important dans une première étape.
Et pourquoi as-tu choisi d’orienter ton article sur lui en particulier ?
Perrine : Parce que je recherchais un cas concret d’une personnalité et que j’avais été marqué par cet article de Libération.
Et que j’aime bien aborder les histoires ou personnages tabous. ;)
Encore un article intéressant !
Et aujourd’hui tu sais s’il s’en est sorti ? Il a progressé niveau timidité ? Est-il heureux dans sa vie ?
D’après les dernières infos, Maxime Brunerie aurait trouvé un boulot et même une copine. Sur wiki, on apprend aussi ça :
« En 2011, il publie un récit autobiographique intitulé Une vie ordinaire : je voulais tuer Jacques Chirac, et se dit désormais éloigné de tout militantisme politique. Après avoir travaillé pendant un an en tant que responsable des ressources humaines dans une collectivité, il a créé son entreprise d’achat-vente de livres anciens. » (Source : Wiki)
Tu as encore une fois prouvé ta grande intelligence au travers de cette analyse de personnalité.
Je t’avoue ma très grande surprise à voir ce sujet traité sur ton blog.
J’ajouterais juste que peut être que ce Maxime n’a jamais rencontré quelqu’un pouvant lui suggérer qu’il pouvait ‘en sortir.
Avouons le : vu sa photo il n’a aucunement à priori de quoi repousser physiquement les femmes.
Mais c’est une infernale spirale dans laquelle s’est prise sa vie….il lui a manque cette petite flamme qui aurait pu lui dire « ne renonce pas, le printemps viendra tôt ou tard ».
Il a trouvé à se valoriser dans des mouvements anti humains.
Son geste me fait penser à l’histoire imaginée pour le film taxi Driver et résumée dans le sous titre du film « everywhere there’s a nobody dreaming of being somebody »
C’est triste, alors pour lutter contre ça soyons vigilants sur ce qu’il advient de nos admis…si on les voit dériver, ne laissons pas faire, jamais !
Bonjour,
Très intéressant ! Je suis psychologue libérale et j’avoue que votre regard est pertinent…
Vous pouvez lire à ce sujet « la part de l’autre » d’Éric Emmanuel Schmitt. Une relecture de la vie d’Hitler si… Il était entré aux beaux arts! J’ai lu ce livre il y a quelques années à la lumière de la psychanalyse et de la connaissance des structures psychiques et, si je trouvais le point de vue de Monsieur Schmitt pas consensuel, je n’adhérais pas totalement. J’ai beaucoup évolué depuis dans la vie et dans ma pratique et trouve que ce qu’il décrit, pourrait se tenir… Reste que bien souvent, on reste fou et parfois, il est trop tard…
Merci !
Bonjour Vanessa Herzog,
Je vous remercie pour votre commentaire et j’apprécie d’autant que vous êtes psychologue.
Je n’ai jamais lu le livre d’Éric Emmanuel Schmitt, mais vous m’avez donné envie du coup. Je le note dans ma liste de lectures. ;-)
Amicalement.
Bonjour,
Article interessant !
On aurait aussi pu évoquer la fusillade de Columbine aux Etats-Unis.
Je suis assez de l’avis de Marie : ce problème est-il vraiment résoluble ?
De mon coté, alors que la vie est de plus en plus belle pour moi, je ressent toujours un profond malaise au contact des nombreux célibataires ; je crois qu’il est du à notre monde moderne soi-disant plus confortable, mais qui en réalité rend névrosé une grande partie d’entre-nous.
Je suis étonné qu’il soit déjà en liberté, 10 ans à peine après avoir tiré sur le Président de la République ! Je crois que ce laxisme est symptomatique du malaise de notre société, dont la timidité amoureuse est l’une de ses conséquences. Le Président de la République est un homme comme un autre (« normal ») ; femme=homme ; dans ces conditions pourquoi être respectueux des personnes importantes ? Pourquoi les hommes devraient t-ils être galant et faire le premier pas ?
Pour moi la solution est un retour aux tradititons.
Cette analyse très intéressante de Maxime Brunerie fait froid dans le dos car nous, timides avons nos problèmes mais nous ne pensons pas forcément que nous pourrions être amenés à de telles extrémités mais parfois il suffit d’une goutte qui fait déborder le vase pour que nous commettions un acte irréparable d’où l’importance de ne pas rester enfermé dans la solitude et d’être bien entouré.
Dans le même style, on pourrait aussi citer la tuerie de Virginia Tech aux Etats Unis en 2007 où le tueur était très solitaire et très renfermé.
ouais je pense pas que ce soit aussi réductible et simple que la mécompréhension de la communication sexuelle